lundi 20 septembre 2004

Short Cuts


"Tantôt on nage dans le bonheur, tantôt dans la douleur."

Projeté depuis quelques temps déjà par Robert Altman, Short Cuts a été rendu possible grâce au succès de The Player. Ils figurent, d'ailleurs, tous deux, parmi les meilleures œuvres du réalisateur. Sorti la même année que Schindler's List, consacré aux Oscars 1993, le film est nettement moins consensuel, dressant un portrait féroce et satirique des Etats-Unis de ce début des années 1990. "Lion d'or" à Venise (ex aequo avec Trois couleurs: bleu), la cérémonie des Césars 1995, présidée par Alain Delon, lui préfère Four Weddings and a Funeral. Il n'est pourtant pas sûr que la comédie romantique britannique, qui partage Andie MacDowell avec Short Cuts, ait autant marqué le cinéma que celui-ci.
Quelques jours de la vie de neuf "couples" de Los Angeles : Gene Shepard (Tim Robbins), un policier qui abuse de son statut, trompe sa femme Sherri (Madeleine Stowe) avec Betty Weathers (Frances McDormand), divorcée de son pilote d'hélicoptère de mari, Stormy Weathers (Peter Gallagher). Casey, le fils d'Ann (Andie MacDowell) et Howard Finnigan (Bruce Davison), un commentateur télévisé, est renversé par une voiture. La peintre Marian Wyman (Julianne Moore) et son mari médecin hospitalier, Ralph (Matthew Modine), qui semblent ne plus avoir grand chose à partager, invitent Claire (Anne Archer) et Stuart Kane (Fred Ward), rencontrés pendant un concert, à dîner...
Tiré de plusieurs courtes histoires de Raymond Carver, Short Cuts en respecte l'inspiration littéraire : faire de la "fiction minimale" (dont les principes ont été définis par Tchekhov) : absence de discours politico-économico-social ; objectivité farouche dans les événements et les personnages ; concision du style ; sensibilité ; refus des clichés. On se souvient aisément, en voyant le film (ici dans sa version de plus de trois heures), qu'Altman a commencé sa carrière comme réalisateur de documentaires. Il s'agit, bien sûr, d'une illusion de la réalité mais le parti-pris est manifestement celui de la véracité, parfois crue, renforcé par la narration en séquences alternées, apparemment sans intrigue ni dramaturgie "porteuse", évitant la sensiblerie et les effets visuels au profit d'une sécheresse de ton qui cadre bien avec le pessimisme du film. Constat sévère de la banalité et de l'échec de la vie de couple, de l'indifférence et de la dureté triviale des sentiments, Short Cuts mêle petits malheurs et grands drames, souvent nés du croisement des destins des protagonistes, avec une intensité dans le traitement assez comparable. Seul le final, "deux ex machina" théâtral permettant de sauver les apparences, renoue avec une dimension partiellement fictionnelle. La technique narrative du film a durablement influencé le cinéma. Pulp Fiction, Playing by Heart ou encore Magnolia, pour n'en citer que quelques uns, s'en sont nettement inspiré. Dans cette configuration singulière, le rôle de l'acteur est éminent. Et de ce point de vue, le film est remarquablement servi. Il n'est alors pas étonnant que l'ensemble du casting ait été honoré par un prix spécial aux Golden Globes 1994 et par une Coupe Volpi collective à Venise. 

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