dimanche 26 septembre 2004

Léo, en jouant "Dans la compagnie des hommes"


"Il redoute de ne pas être le maître de ses projets."

Arnaud Desplechin réalise, avec Léo en jouant "Dans la compagnie des hommes", son quatrième long métrage. Metteur en scène littéraire s'il en est, il choisit une pièce d'Edward Bond créée (en français) par Alain Françon en 1992 au Théâtre de la Ville à Paris. Mieux connu en France depuis le Festival d'Avignon de l'été 1994, le dramaturge*, comme dans ses autres œuvres, y développe une cruauté sans égale** dans sa façon de mettre en lumière l'inhumanité de notre société, sa violence, ses failles, ses tares et ses faillites. Présenté en sélection officielle du Festival de Cannes 2003, Léo... a fait l'ouverture de la section Un Certain Regard (en "rough cut", i.e. projeté dans un montage non définitif).
7 février 2001 Paris, France ; Henri Jurrieu (Jean-Paul Roussillon) vient de sauver son entreprise d'armement d'une O.P.A. hostile lancée par Hammer (Wladimir Yordanoff), le patron d'une importante chaîne de distribution alimentaire. Son fils adoptif, Léonard (Sami Bouajila), entretient avec lui des relations complexes, marquées par l'omnipotence paternelle. Léonard se voit proposer par Claude Doniol (Laszlo Szabo), un des proches collaborateurs de son père, de racheter, sans en parler à celui-ci, la société de Willian De Lille (Hippolyte Girardot), alcoolique et joueur notoire, criblée de dettes. D'abord réticent, Léonard, qui n'arrive pas à convaincre son père de le nommer au conseil d'administration, voit dans cette affaire un moyen de réaliser ses ambitions et de montrer ses talents de dirigeant.
Etonnant récit de trahison, de prise et méprise de pouvoir et d'héritage, de recherche d'identité, d'hallucinations et de folie, Léo..., à mi chemin entre cinéma et théâtre, s'intéresse surtout, comme le suggère son titre définitif, au travail de l'acteur. Desplechin et son scénariste, l'ancien critique Nicolas Saada, n'hésitent d'ailleurs pas à ajouter le personnage d'Ophélie (Anna Mouglalis) pour accentuer, si nécessaire, la dimension shakespearienne de l'œuvre. Des séquences de répétition (tournées en vidéo) sont intégrées au montage pour rendre explicite la démarche artistique et montrer le processus de création. Si le projet, dans sa partie formelle, semble plutôt destiné aux spécialistes, la partie fictionnelle du film, aux ambiances nerveuses (filmé caméra à l'épaule), oppressantes et inquiétantes, est remarquablement bien maîtrisée, servie par de solides acteurs de théâtre : Jean-Paul Roussillon(sociétaire honoraire de la Comédie-Française), Wladimir Yordanoff, Bakary Sangare, et Laszlo Szabo, seul rescapé des précédents films de Desplechin. Il faut également noter la jolie prestation d'Hippolyte Girardot, que l'on voit désormais avec joie plus souvent à l'écran. La dernière originalité de l'œuvre est sa bande musicale rock, motif contraponctique qui participe au caractère expérimental du dispositif et ajoute intelligemment un supplément de vertige ou de brouillage dans le message sensitivo-narratif.
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*qui a, notamment, signé le scénario du Walkabout de Nicolas Roeg et les dialogues anglais de Blowup d'Antonioni.
**à la question d'un journaliste de France 2 de l'édition de 13h du journal qui lui demandait en conclusion d'une interview ce qu'il voudrait que l'on écrive sur sa tombe, Edward Bond, avec un étrange sourire, avait répondu: "No parking..." !

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