jeudi 12 août 2004

The Soul of a Man


"I want somebody to tell me
Just what is the soul of a man."(in "The Soul of a Man", Blind Willie Johnson)


Premier volet de la série de sept films intitulée The Blues* parrainée par Martin Scorsese, The Soul of a Man est, après Buena Vista Social Club et, comme celui-ci co-produit par Ulrich Felsberg avec lequel Wim Wenders a déjà travaillé à neuf reprises, une nouvelle étape dans le domaine du documentaire musical de la filmographie du réalisateur allemand. Présenté hors-compétition au Festival de Cannes en 2003**, il est, peut-être plus que tous les autres opus de la série, l'œuvre la plus personnelle et artistique d'un authentique amoureux de la musique et du blues en particulier.
Biographie filmée et partiellement reconstituée de trois des plus influents, quoique méconnus du grand public, artistes du blues, Blind Willie Johnson, Skip James et J.B. Lenoir. Le premier, originaire du Texas du tout début du siècle dernier, devenu aveugle, comme l'évoque son surnom, à sept ans après avoir reçu de l'acide lancé par la seconde épouse de son père, est un des fondateurs du blues. Reconnaissable par son jeu en bottleneck et ses textes d'inspiration gospel, Blind Willie Johnson a enregistré dans les années 20 puis a surtout chanté dans les rues. Bob Dylan, Eric Clapton et Ry Cooder ont, entre autres, repris régulièrement ses chansons. Un de ses titres les plus connus, "Dark Was the Night, Cold Was the Ground", est embarqué dans la sonde "Voyager" qui explore notre système solaire et ceux à sa périphérie depuis vingt-cinq ans, un des témoignages de la civilisation humaine en vue d'une rencontre avec d'improbables extraterrestres. Skip James, natif comme J.B. Lenoir du Mississippi, est l'homme d'une session particulièrement riche pour la Paramount en février 1931.
Mais l'échec de ses disques, dans la période de grave récession que connaît alors les Etats-Unis, le pousse à devenir pasteur comme son père. Il réapparaîtra en 1964 dans le cadre du festival de Newport sans avoir perdu une once de son talent, bien au contraire. Parmi ses titres les plus connus figurent "Devil Got My Woman" ou "I'm so Glad", ce dernier repris par Cream pour son premier album. J.B. Lenoir, né en 1929 et parti à Chicago, apparaît au début des années 1950. Doté d'une personnalité originale et attachante, il compose un répertoire à la fois léger et grave. Témoin de son époque, notamment du sort réservé à la population afro-américaine, il est l'auteur de titres engagés comme "Alabama Blues", "Down in Mississippi", "Vietnam Blues" ou encore "Eisenhower Blues" censuré et rebaptisé "Tax Paying Blues".
La qualité de The Soul of a Man est liée à la conjonction de deux phénomènes : l'effacement presque absolu du réalisateur, préférant confier à Laurence Fishburne la narration presque succincte du film et l'importance accordée à la musique. On pourrait presque dire qu'il s'agit de biographies en chansons tant celles-ci prennent toutes la place avec ces allers-retours entre les prestations reconstituées jouées par Chris Thomas King et Keith B. Brown et les morceaux interprétés par Beck, Nick Cave, Bonnie Raitt, Lou Reed, Cassandra Wilson et consort. Le titre de chaque chanson et leurs paroles apparaissent systématiquement à l'écran, renforçant, outre la présence régulière d'archives d'époque, l'intérêt documentaire du film.
Une bonne partie du métrage est "alimentée" par des extraits des deux courts-métrages consacrés à J.B. Lenoir réalisés*** par le couple Seaberg, interrogés en 2002 sur les conditions de ce tournage. Ces témoignages, les seuls significatifs existants sur l'artiste, sont particulièrement intéressants et permettent de connaître un peu mieux un homme et un bluesman aujourd'hui quasiment oublié du grand public. Au final, The Soul of a Man est une œuvre intelligente, presque sobre et, malgré les apparences, très homogène et cohérente. L'édition DVD lui offre une interactivité idéale, enrichie par des suppléments inégaux mais bienvenus.
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*projet coïncidant avec l'année du blues, manifestation organisée par le Congrès américain.
**le même jour que Matrix Reloaded, cf. commentaire de Wenders.
***pour et délaissés par la télévision suédoise.

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