jeudi 19 août 2004

Sisters (sœurs de sang)


"Tout ira bien."

En 1972, Brian De Palma possède déjà le scénario de Sisters* depuis plusieurs années. Il en a eu l'idée en découvrant l'histoire de siamoises russes, Masha et Dasha**, dans une édition de "Time Magazine" de 1966. Entre temps, la Warner lui a proposé de diriger une comédie, Get to Know Your Rabbit, avec Tom Smothers et Orson Welles dans un de ses seconds rôles de la fin de sa carrière. Le rêve hollywoodien du jeune réalisateur semble prendre corps. Il va rapidement se transformer en cauchemar. Habitué à travailler en totale autonomie, De Palma accepte mal le contrôle permanent des producteurs exécutifs. De plus, il s'oppose avec le scénariste et l'acteur principal. Il est remercié sans ménagements par le studio. Le film lui est toujours crédité, mais plusieurs séquences ont été tournées par un exécutant et il n'a pas participé à la phase de montage. A trente-deux ans, De Palma, dont la réputation est fortement ternie, renonce à toute nouvelle expérience à Hollywood. On sait qu'il y fera un retour en 1982, en acceptant la proposition d'Universal de tourner un remake de Scarface. C'est avec la production indépendante et la réalisation de Sisters qu'il va, pour l'heure, poursuivre son parcours et sortir de la période la plus sombre de sa carrière.
Philip Woode, un jeune publicitaire, rencontre Danielle Breton, un séduisant mannequin québécois, lors d'une émission de télévision. Sous le charme, il accepte de l'inviter au restaurant, en utilisant le cadeau reçu au cours de l'émission, et passe la nuit avec elle, malgré Emil, son ex-mari plutôt envahissant... Au matin, il apprend que Danielle a une sœur jumelle, Dominique, et que c'est aujourd'hui leur anniversaire. Sorti acheter des médicaments pour Danielle, il décide de faire une surprise aux deux sœurs en leur rapportant un gâteau d'anniversaire. De retour à l'appartement, Woode dépose délicatement le gâteau et un grand couteau sur le lit où Danielle (?) dort encore. Celle-ci se réveille et, sans raison, le poignarde à plusieurs reprises. Avant de mourir, la victime s'approche d'une fenêtre et une voisine, Grace Collier (Jennifer Salt), est le témoin de son agonie. Grace est journaliste dans un journal de troisième plan. Elle appelle la police et se rend chez Danielle Breton avec deux inspecteurs. Sur les lieux du crime, (presque) plus aucune trace du meurtre. Emil a fait place nette. Grace trouve le gâteau dans le réfrigérateur et en déduit l'existence d'une Dominique, mais elle tombe en l'emmenant dans le salon et souille le pantalon de l'inspecteur principal. Affaire close pour la police, mais Grace, avec l'aide d'un détective (Charles Durning), décide de mener sa propre enquête. Au risque de mettre sa propre vie en danger.
Ce premier film non expérimental (quoique !!) de De Palma tient davantage de la farce horrifique que de l'authentique film d'horreur, du polar ou du thriller. Ce qui n'a, en soi et a priori, rien de péjoratif. Sisters a tout de même pris un coup de vieux. Les faibles moyens de la production et les maladresses de sa mise en scène sont visibles dès les premières séquences. Sans parler de la piètre qualité de la prestation des acteurs, en particulier celle de Margot Kidder qui, silhouette et proximité avec le réalisateur mises à part, ne justifie pas sa présence au générique. Seuls William Finley, Charles Durning, à la participation symbolique, et, dans une moindre mesure, Jennifer Salt sauvent le film sur la plan de la comédie. Dommage, car l'intrigue est bonne et le traitement parfois inspiré. Comme Dressed To Kill, Sisters est une histoire de double, mais développée sur un mode moins dramatique, moins sérieux. Les citations au cinéma d'Hitchcock sont, on le sait et il est inutile de le développer, nombreux, de Psycho à Rear Window en passant par Rope. Les "obsessions" de palmiennes sont déjà présentes : voyeurisme (le jeu télévisé du début du film s'appelle "Peeping Toms", à une lettre près le titre du film de Michael Powell dont le personnage principal est un voyeur), science, violence et manipulation, notamment des images. Si on mentionne surtout l'usage du split-screen ou la bande-originale de Bernard Herrmann (pas la plus intéressante du génial compositeur, trop marquée par son modèle de Psycho) pour évoquer Sisters, c'est pourtant la séquence onirique, filmée en noir & blanc et peuplée d'êtres étranges et inquiétants, qui est, me semble-t-il, la plus forte du film.
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*et celui de Phantom of the Paradise.
**Masha et Dasha Krivoshlyopova, née en janvier 1950 à Moscou étaient attachées l'une à l'autre par la taille, elles avaient en commun les jambes, le système sanguin, les organes de reproduction et la vessie. Elles avaient chacune un coeur, des intestins, une colonne vertébrale, deux bras, un système nerveux. Enlevées à leurs parents dès la naissance, elles seront l'objet de l'expérimentation médicale soviétique. Enfermées pendant un demi-siècle, elles n'auront pour horizon que des hôpitaux, des chambres cellules d'internats pour handicapés et une minuscule chambre d'un hospice pour personnes âgées. Un documentaire français leur a été consacré en 2001, réalisé par Jean-Christophe Rosé. Elles sont décédées en 2003.

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