mercredi 16 juin 2004

Zatôichi


"Toi aussi, tu as une odeur de sang."


Quatorze ans après le dernier film interprété par Shintaro Katsu, décédé en 1997, Takeshi Kitano reçoit, juste avant le tournage de Dolls, commande d'une nouvelle version du personnage de la part d'une amie du défunt acteur. D'abord réticent, Kitano accepte l'offre en stipulant qu'il ne souhaite pas faire une suite ou un remake mais mettre en scène sa propre vision du personnage. Les raisons de cette hésitation sont multiples. D'abord Zatoichi est un personnage de fiction illustre et apprécié au Japon, créé par Kan Shimozawa, un auteur né à la fin du XIXe siècle. Une sorte de pendant asiatique du fameux Zorro imaginé par son contemporain Johnston McCulley. Ensuite, le héros aveugle est intimement associé par le public à Shintaro Katsu, l'acteur qui l'a incarné dans une trentaine de films de cinéma et de télévision. Enfin, Kitano, qui a parodié Zatoichi à plusieurs reprises au cours de sa carrière de comique, réussirait-il à lui donner une crédibilité dramatique ? La réponse est, sans conteste, positive et il faut se réjouir qu'il ait finalement relevé le défi. Le réalisateur a d'ailleurs été récompensé par un "Lion d'argent" à la 60e Mostra de Venise et le film a reçu de nombreux prix techniques dans son pays.
Dans le Japon du XIXe siècle, il ne fait pas bon être simple paysan et subir le racket des gangs qui se livrent entre eux une guerre sans merci. Alors, lorsque l'on est un pauvre masseur aveugle, mieux vaut avoir quelques atouts dans sa manche, ou plutôt dans sa canne. Zatoichi (Takeshi Kitano) est donc, malgré son infirmité, un redoutable sabreur. Pour avoir un peu trop gagné au jeu de dé, il doit se battre contre les hommes d'Ogi (Saburo Ishikura) et de Ginzo (Ittoku Kishibe) avant d'affronter le dangereux rônin engagé par ce dernier, Hattori (Tadanobu Asano). Au cours de ses péripéties, il rencontre deux geishas, en réalité frère et soeur, qui, sous couvert de vendre leurs arts et leurs charmes, cherchent à venger le meurtre de leurs parents.
Zatoichi est un film de chambara singulier. Ce qui surprend, presque immédiatement, c'est qu'il est conçu comme une œuvre lyrique et chorégraphique. Plus que le récit, parfois touffu, c'est le rythme qui dirige la progression des événements dans un crescendo opératique très efficace. Bien sûr, le film est violent avec de multiples lacérations et jets d'hémoglobine qui les accompagnent. Mais, étrangement, peut-être grâce au traitement de l'image qui atténue les couleurs et à la qualité visuelle de la réalisation, l'impression qui subsiste est celle d'assister à une œuvre picturale en mouvement. Les espaces sonore et visuel sont, dans une étroite et permanente association, et tout en respectant une grande sobriété, riches de détails. Kitano glisse ici ou là quelques touches comiques comme ce grotesque guerrier à moitié nu qui ne serait pas sorti indemne d'un film de Kurosawa ou cette amusante leçon de sabre qui insiste, s'il était nécessaire, sur la vertu du tempo. Zatoichi, qui n'est pas le premier chambara de Kitano puisqu'il tenait le rôle d'un samouraï, déjà aux côtés de Tadanobu Asano, dans le Tabou de Nagisa Oshima, est de ces films qu'il faut voir (pour le croire !) parce qu'ils sont des oeuvres très personnelles que le verbe, seul, ne saurait traduire. Une dernière chose, toutefois : ne serait-ce que pour la scène finale, apparemment si décalée, tellement inventive et jouissive, il faut regarder Zatoichi.

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