mardi 1 juin 2004

Tráfico


"J'ai la culture moyenne d'un européen."

Le Portugal est réputé pour méconnaître son cinéma national. Pourtant, aux côtés des Manoel de Oliveira et Joao César Monteiro, il existe quelques réalisateurs dont la réputation internationale s'est progressivement affirmée, notamment grâce à la présentation de leur films dans les festivals. Joâo Botelho est de ceux-là. Après quelques courts métrages à la fin des années 1970, Botelho réalise, en 1982, son premier long métrage centré sur les poètes Fernando Pessoa et Mario de Sá Carneiro, Conversa Acabada, présenté au Festival de Cannes la même année. Après plusieurs oeuvres dramatiques, dont Um Adeus Português et No Dia dos Meus Anos, il signe, en 1994, une première comédie, Três Palmeiras, suivie de ce Trafico au ton tout aussi grinçant et corrosif. Sélectionné en compétition au Festival de Venise 1998, le film n'a pas connu un grand succès en salles. L'un des atouts du DVD est qu'il permet, le cas échéant, de corriger de telle situation. En l'occurrence, Trafico mérite vraiment d'être découvert.
Scénario constitué de multiples histoires croisées (ou pas) de personnages ou groupes de personnages, il est quasiment impossible de rédiger un synopsis satisfaisant du film. D'autant que la trame narrative n'est pas linéaire, que de nombreuses fausses pistes ou impasses surgissent et que des rebondissements inattendus finissent pas créer un désarroi délibéré et réjouissant chez le spectateur. Les intrigues principales tournent autour du couple découvrant un trésor sur une plage, de cette classique épouse de général compromis dans des affaires de trafic d'armes qui, en découvrant l'art, vire au modèle Absolutely Faboulous, le tout traversé par le "fil conducteur" constitué par les pérégrinations de deux surprenants pères de l'église.
Si l'on ressort de ce(s) Trafico(s) sans être sûr d'avoir tout compris, il y a au moins une chose évidente : Joâo Botelho a une touche personnelle qui conserve beaucoup de son passé de graphiste. L'esthétique est, en effet, soignée et contribue grandement au plaisir et à l'intérêt du film. L'esprit qui y règne est assez proche de la bande dessinée comique, avec ces personnages caricaturaux et insensés, avec cette frontière imprécise entre le bien et la mal, avec cette élégante et inventive vitalité qui fait parfois penser à une version latine des Monthy Python. Cette dernière impression est d'autant plus forte que le réalisateur utilise, le plus souvent, la même "troupe d'acteurs" d'un film à l'autre. Trafico est une savoureuse critique d'un monde moderne sans repère, dominé par l'argent, dans lequel, plus que jamais "l'habit ne fait pas le moine (même chanteur !)". Tout s'achète et tout se vend, le sacré et la vertu comme le reste, dans cette éternelle lutte des classes (que n'avaient pas imaginée Marx et Engels). Et, en s'inspirant d'une citation cinématographique (tirée du Ran de Kurosawa*), "soyons fous pour comprendre ce monde insensé" semble être, ici, la devise de Botelho. Seul domaine apparemment préservé : la culture, lorsqu'elle est humainement sincère, comme le montre cette incroyable scène dans laquelle deux clochards jouent un extrait des "Malheurs de Sophie" dans un décor d'immense décharge à ciel ouvert. Malgré les vapeurs toxiques, Trafico est une bonne bouffée d'oxygène filmique.
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*idée déjà présente, au moins implicitement, dans le "Hamlet" de Shakespeare.

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