dimanche 9 mai 2004

Kiss Me, Stupid (embrasse-moi, idiot !)


"Je cherche le nombril de ma femme."

Kiss Me, Stupid(1) appartient, à la fois, à la dernière période de la carrière de Billy Wilder et à une série de quatre films plus personnels, entamée en 1960 avec The Apartment, tournés en Cinemascope et en n&b. C'est une pure comédie qui tourne en ridicule la morale bourgeoise de manière féroce et sans concession. Bien qu'il fonctionne sur les mêmes ressorts que la farce française Irma la Douce, le film, contrairement à celui-ci, connu un échec public retentissant à sa sortie. La "Ligue catholique pour la décence" et la "Moral Majority" le condamnèrent pour débauche et certaines salles de cinéma cessèrent son exploitation. Toutes ces critiques sont aujourd'hui désuètes alors que le film n'a rien perdu de sa force comique et de sa modernité.
Dino (Dean Martin) est un chansonnier et un séducteur invétéré qui vient de terminer une série de spectacles à Las Vegas. Sur la route qui le mène à Los Angeles, où il doit participer à un show télévisé, il est contraint d'emprunter un détour qui passe par la petite localité de Climax (Nevada). Arrêté pour faire le plein d'essence il est reconnu par Barney Millsap (Cliff Osmond), le propriétaire de la station. Celui-ci compose, avec son ami Orville J. Spooner (Ray Walston, un modeste professeur de piano, des chansons qu'ils n'arrivent pas à faire éditer. Flairant le bon coup leur permettant de placer quelques uns de leurs titres à Dino, il provoque une panne mécanique sur le véhicule du crooner et l'oblige à passer la nuit chez Orville. Le problème est qu'Orville est maladivement jaloux de son épouse Zelda (Felicia Farr)(2), au point qu'il soupçonne, tour à tour, le laitier, le dentiste de sa femme et même son élève de quatorze ans (mais grand pour son âge !) d'être son amant. Apprenant à connaître l'appétit sexuel incontrôlé de son invité, le stratagème inventé par Barney tourne au drame. Barney suggère alors d'éloigner Zelda pour la nuit (qui, manque de chance, coïncide avec le cinquième anniversaire de mariage des Spooner) et de la remplacer par une professionnelle, Polly (Kim Novak), l'entraîneuse la plus demandée du "Belly Button", un bar à la sortie de la ville. Tout ne se passera pas exactement selon le scénario imaginé.
Le film est une nouvelle adaptation(3) de "l'Ora de la fantasia" (l'heure éblouissante), une pièce d'Anna Bonacci. C'est Peter Sellers qui avait été choisi pour jouer le personnage d'Orville. Mais, au bout de quatre semaines de tournage, son état de santé ne lui permet plus de le poursuivre. De plus, l'acteur et son réalisateur, très différents, ne parviennent pas à s'entendre. Face, notamment, aux talents d'improvisateur de Sellers, Wilder cherche à protéger son script. Ce dernier choisit Ray Walston, avec lequel il a travaillé sur The Apartment, pour le remplacer. On ne sait ce qu'aurait été le film dans sa configuration initiale. Walston est un bon acteur mais il n'a pas ce don comique unique et le charisme de son prédécesseur. Kiss Me, Stupid joue sur le contraste ingénieux entre sordide, voire scabreux(4), et tendresse, le premier s'imposant pendant la première partie du film, la seconde dès que le faux couple Polly-Orville est constitué. C'est cette dernière partie qui est la plus intéressante. Avec sa transformation (thème cher à Wilder) en épouse légitime (bague au doigt), Polly perd son statut de prostituée (peu séduite par la superficialité et la lubricité de Dino) pour devenir celle que son prétendu mari déclare qu'elle est. Et, naturellement, Orville est pris à son propre jeu. Si Dean Martin ne surprend pas, dans un rôle assez peu éloigné de sa personnalité, et malgré l'élan chevaleresque qui sauve un peu le personnage d'Orville, ce sont les femmes (admirablement positives et positivement admirables) qui trouvent grâce(5) aux yeux du réalisateur et du spectateur. En particulier Polly, une jolie et chic fille, sensible et touchante qui trouve en Kim Novak une interprète à sa mesure. Sa voix, légèrement rauque et étouffée, est tout bonnement craquante.
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1. on avait, déjà, beaucoup embrassé, dans les titres depuis la naissance du cinéma, notamment un Kiss Me de James Reardon en 1918. Mais les œuvres essentielles, outre celle de Wilder, appartiennent aux années 1950 : Kiss Me Kate de George Sidney et, bien sûr, Kiss Me Deadly de Robert Aldrich.
2. deuxième, après Irma la Douce, des quatre films tournés avec Wilder ; Felicia Farr est l'épouse de Jack Lemmon, l'acteur fétiche du réalisateur.
3. après celle de l'italien Mario Camerini, Moglie per una notte en 1952.
4. les connotations sexuelles sont nombreuses dans le film, depuis les indications de l'itinéraire données par le policier au tout début en passant par l'utilisation de la boite de mouchoirs en papier (voir photo). Le nom de la ville, Climax (traduit par Jouy) signifie à la fois apogée et orgasme !
5. les seuls personnages "dignes" sont affublés d'un sobriquet : "Beethoven" pour Orville, "Lambchop" pour Zelda et "The Pistol" pour Polly.

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