mardi 4 mai 2004

Cluny Brown (la folle ingénue)


"Donner des écureuils aux noix."

En 1943, sur le tournage de Heaven Can Wait, Ernst Lubitsch est victime de sa première crise cardiaque. L'année suivante, le contrat qui le lie à la Twentieth Century Fox Film Corp. est reconduit pour trois ans, au terme duquel il doit avoir produit trois films. Le deux premiers seront A Royal Scandal d'Otto Preminger et Dragonwyck de Joseph L. Mankiewicz. Il est médicalement autorisé à diriger seul le troisième film : Cluny Brown, tiré du best seller de Margery Sharp paru en 1944. Ce sera sa dernière œuvre achevée puisque qu'il disparaîtra en 1947 pendant la réalisation de That Lady in Ermine(Otto Preminger sera chargé de le terminer). Il s'agit du seul film tourné par le réalisateur d'origine allemande avec Charles Boyer et Jennifer Jones et unique apparition du couple à l'écran. L'actrice, qui allait devenir, trois ans plus tard, Mrs David O. Selznick, ne doit sa présence à l'affiche qu'à l'autorisation express de son découvreur et futur époux. C'est aussi sa seule prestation dans une comédie.
Juin 1938. Adam Belinski (Charles Boyer) et Cluny Brown (Jennifer Jones) se sont croisé accidentellement chez Mr. Ames à Londres. Ils se retrouvent dans le manoir de Sir & Milady Carmel, les parents d'Andrew (Peter Lawford), autre connaissance fortuite de la même soirée. Cluny y a été envoyée par son oncle pour être seconde femme de chambre des Carmel. Belinski est, quant à lui, invité par Andrew qui admire l'écrivain et le philosophe tchèque, exilé pour ses positions contre un nazisme au faîte de sa puissance, à la veille d'un conflit en Europe inévitable. Une douce romance va naître* et, malgré les obstacles, se développer* entre les deux "exilés".
Pour le béotien en "Lubitschy", le film possède un charme certain, bien qu'il ne s'y passe pas grand chose. Pour celui qui est déjà passé par les joyaux que sont To Be or Not to Be, Ninotchka ou encore The Shop Around the Corner et Trouble in Paradise, la déception est probable. On cherche, presque en vain, la fameuse touch qui caractérise le génial créateur. Ce mélange de vivacité et d'allégresse, d'humour subtil et satirique, d'inventivité des situations, des personnages et des dialogues. Si la critique des pesantes conventions et des (prédestinées) "classes sociales" britanniques fait mouche, tout comme la "mise en boîte" ironique de l'écrivain Hitler (cf anecdotes), il manque cette quasi frénésie et cet omniprésent esprit indissociables d'une comédie signée Ernst Lubitsch. Est-ce l'absence du complice hongrois Melchior Lengyel qui explique ce déficit ? Ou la faiblesse propre du récit de Margery Sharp ? Quoiqu'il en soit, et malgré ce handicap, cela reste un bon film du réalisateur. Celui-ci réussit, tout en incorporant malicieusement les séditieuses spontanéité et impulsivité du personnage féminin dans un environnement figé et convenu, à opposer également, en trame de fond, la trivialité individuelle et l'enjeu collectif inéluctablement tragique. Les comédiens principaux et secondaires sont convaincants. On regrette que Jennifer Jones n'ait pas eu l'occasion de prolonger cette première expérience de comédie tant elle est à l'aise et efficace dans ce genre.
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*grâce à la plomberie !

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