mardi 20 avril 2004

Muriel ou le temps d'un retour


"- Nous n'allons pas revenir sur le passé.
- Mais vous êtes ici pour cela !"

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Huit ans après Nuit et brouillard, Alain Resnais retrouve Jean Cayrol. Il ne s'agit pas, cette fois, de réaliser un documentaire (bien que nous verrons que ce nouveau film en garde des "stigmates"), mais une fiction "en couleurs" sur la mémoire, l'amour et la mort, ces thèmes si chers au réalisateur. Pour incarner le personnage centrale du film, Hélène, il choisit Delphine Seyrig avec laquelle il tourne, presque parallèlement, L'Année dernière à Marienbad et qui se verra décerner le "Prix de la meilleure interprétation féminine" au terme de la Mostra de Venise de 1963. Formellement et sur le plan narratif, Muriel ou Le temps d'un retour est une énigme cinématographique.
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Hélène Aughain vit à Boulogne-sur-mer avec Bernard (Jean-Baptiste Thierree), le fils de son mari décédé, récemment rentré d'Algérie. Elle vend, à son domicile, des meubles anciens. Un soir, elle accueille un ancien amoureux, Alphonse Noyard (Jean-Pierre Kérien), venu de Paris accompagné de sa prétendue nièce, Françoise (Nita Klein), en réalité sa maîtresse. Après le dîner, Bernard et Françoise sortent ensemble pour errer dans les rues boulonnaises. Roland de Smoke (Claude Sainval), un entrepeneur en démolition urbaine, vient chercher Hélène pour l'emmener au casino. Alphonse reste seul dans l'appartement. Que vient-il faire à Boulogne ? Pourquoi Hélène l'a-t-elle invité ? Qui est Muriel ? Cette insolite introduction est le point de départ d'un long travail dialectique de mémoire, seulement douloureux pour certains, parfois traumatisant pour d'autres.
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Comme le souvenir qui s'enfuit ou l'amour non partagé, Muriel ou Le temps d'un retour est un film insaisissable. Sans réelle chronologie (le temps et la durée n'ont, paradoxalement malgré l'omniprésente des horloges, pas d'importance) ni transition logique, voire volontairement animé par des séquences d'images en idiosyncrasie, le spectateur est désorienté, pour ne pas dire désemparé, ce qui était, peut-être, l'intention du réalisateur. Dans la ville, reconstruite après-guerre, de St-Beuve ou des frères Coquelin, qui garde encore les traces de ses blessures, Resnais alterne des scènes d'intimité avec des plans documentaires de la cité, insistant sur son architecture et ses métiers. Cette contemplation, apparemment passive, va jusqu'à la nature morte en images fixes. Et c'est bien cet enchevêtrement insolite qui crée la dynamique du malaise, sentiment renforcé par les compositions sérielles et étranges de Hans Werner Henze**. Ces personnages, qui vivent, pour la plupart, volontairement ou malgré eux, dans et pour le passé (antiquités, vécu dans un ailleurs improbable...), ne sont-ils pas, d'une certaine façon, "déjà"* morts ? Pourquoi sont-ils toujours en partance ? Quels ont été les effets de la guerre, des guerres devrait-on dire, sur ces survivants ? Autant de questions que le film pose sans y apporter de réponses définitives. Œuvre pleine de portes ouvertes ou fermées ; et le trousseau de clés n'est pas complet.
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*titre d'une chanson de 1928 interprétée, a capella, par le personnage d'Ernest vers la fin du film.
**qui intervient dans le score de L'Exorciste, aux côtés, entre autres, du plus médiatique Mike Oldfield et que l'on entendra encore à l'oeuvre dans L'Amour à mort.

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