mercredi 17 mars 2004

Mes enfants ne sont pas comme les autres


"Qu'est-ce qu'il ferra plus tard ? Il faut décider ça aujourd'hui ?"

Troisième long-métrage* de Denis Dercourt, lui-même musicien (alto solo de l'Orchestre Symphonique Français jusqu'en 1993) et enseignant au Conservatoire de Strasbourg, Mes Enfants... cherche, de l'aveu même de son auteur, à mettre en résonance la rigueur du travail, la transmission et l'amour. On peut le voir de deux manières : sans connaître, ou seulement un peu, le monde de la musique classique et ses exigences, et il pourra, alors, paraître intéressant, voire instructif ; ou avec le regard d'un ancien étudiant en musique, qui s'est frotté, quelques temps, à la pratique incessante de l'instrument et au cérémonial des concours, et il décevra.
Jean Debart (Richard Berry) vit à Strasbourg avec sa famille. Veuf d'une éclatante violoncelliste soliste, lui-même instrumentiste d'orchestre, il élève et enseigne la musique à ses deux enfants, Adèle (Elodie Peudepièce), âgée d'une vingtaine d'années, elle aussi violoncelliste comme ses parents et Alexandre (Frédéric Roullier), onze ans, pianiste. Jean joue dans l'orchestre dirigé par son beau-père, Erhardt (Maurice Garrel), qui n'a jamais accepté l'alliance de sa fille, si brillante, avec ce musicien du rang. Gérald (Mathieu Amalric), le fils d'Erhardt, écrasé par la posture et le prestige de son père, écrit des musiques de publicités. Il chasse également, avec son neveu, des chants d'oiseaux destinés à l'oeuvre instrumentale et vocale qu'il compose. Thomas, le jeune répétiteur d'Alexandre, est choisi pour accompagner Adèle pendant la préparation des concours de Genève et Munich. Ils s'éprennent l'un de l'autre et la jeune fille délaisse son travail. L'épreuve de Genève est un échec. Adèle, qui ne peut plus supporter la pression et l'exclusivité que lui impose son père, avec lequel elle s'oppose aussi à propos de Thomas, est prête à arrêter la musique en tant que soliste.
Dercourt développe la dialectique classique : amour et ambition. Un parent peut-il décider, dès l'enfance, c'est à dire au moment où celui-ci n'a pas de libre arbitre, de sa carrière ? Et s'il le fait, le fait-il par amour sincère ou pour satisfaire une ambition personnelle qui n'a pas été atteinte ? L'histoire, et celle de la musique en particulier**, est riche de ces exemples de parents essayant de vivre, grâce à leur enfant, un rêve inachevé. Même si ce rêve se construit au prix du cauchemar de ces enfants. Dans la situation particulière de Mes Enfants..., Adèle remplace, en quelques sortes, également auprès de son père, l'épouse disparue. Ne joue-t-elle pas du même instrument qu'elle ? Cette double responsabilité, à un moment où les adolescents traversent cette phase critique pour devenir adultes, est assez bien traduite par le metteur en scène. Le personnage le plus intéressant est, pourtant, celui d'Alexandre, qui, dans cette double et délicate compétition avec sa soeur, sur le plan musical et affectif, choisira finalement, par un geste incroyablement fort, de protéger celle-ci.
On regrette, toutefois, que l'atmosphère, si oppressante, des concours soit si mal rendue, que les personnages de Gérald et d'Erhardt soient si faiblement exploités, que les conditions de vie, si confortables pour un musicien d'orchestre (la fortune de son beau-père doit, probablement, en être la raison), de Jean rendent son ambition moins crédible. La prestation de Richard Berry*** est réussie, sauf lorsqu'il tient un violoncelle entre les jambes. Ses vibratos sont maladroits et sa tenue d'archet approximative. Il s'était pourtant entraîné, il y a dix ans, pour être violoniste dans le film de Charles Van Damme. A l'inverse, le jeu de comédienne de l'inexpérimentée Elodie Peudepièce est pauvre alors que son talent d'instrumentiste est, bien évidemment, manifeste. Frédéric Roullier est la vraie bonne surprise du film. Avec son visage d'adulte (trait courant chez les jeunes virtuoses), cet enfant est étonnant de sincérité et d'équilibre. Dommage que le cinéaste Dercourt n'ait pas mis à profit les règles fondamentales que tout musicien a en permanence à l'esprit : rythme et justesse. Mes Enfants... souffre, de manière évidente, de cette carence. C'est un travail sérieux d'artisan appliqué. Pas plus.
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*et second, après Les Cachetonneurs, qui s'inspire du monde de la musique.
**Beethoven, Mozart et Schubert doivent beaucoup à un père tyrannique.
***dont le propre film, Moi César..., met en scène un jeune personnage qui, en voix off, déclare : "Les enfants ont souvent pour vocation de réussir là où les parents ont échoué." Une thématique partagée avec celui de Dercourt.

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