mardi 24 février 2004

Planet of the Apes (la planètes des singes)


"Mes rêves sont différents des tiens. Je ne peux pas cesser de penser que dans l'univers, il doit y avoir mieux que l'homme."

Depuis Le Voyage dans la Lune qui inaugura le cinéma de fiction et celui de science du même nom, le genre a connu ses titres phares : Metropolis en 1927 qui demeure un modèle, avant de prendre son essor, aux Etats-Unis, dans les années 1950 avec Destination Moon et The Day the Earth Stood StillL'ambiance de guerre froide (et le risque atomique), le début de la conquête spatiale favorisent tous les fantasmes interplanétaires et redoutables. L'année 1968 consacre une œuvre essentielle à plus d'un titre : 2001: A Space Odyssey mais sa complexité à la fois formelle et thématique vont faire du Planet of the Apes de la même année, une réalisation plus consensuelle et populaire.
Inspiré plus qu'adapté de l'ouvrage de Pierre Boulle qui avait déjà connu un succès cinématographique avec son Pont de la rivière Kwai, le film est une belle métaphore sur le "règne humain", une première contribution de militantisme pacifiste et, avant le Soylent Green de Richard Fleischer avec lequel il partage l'acteur principal, écologique. La réussite se mesurant, aussi, aux sequels, on peut raisonnablement dire que le film de Franklin J. Schaffner(qui constitue aussi le vrai démarrage de sa carrière au cinéma) en est une. Quatre suites officielles (qui font la part belle aux singes) se sont succédées, réalisées par trois metteurs en scène différents, avant que le petit écran ne s'empare de l'idée pour deux séries. Le retour dans les salles obscures s'est opéré avec le remake récent de Tim Burton.
Au résumé proposé sur la fiche-film, et contrairement au récit originel de Pierre Boulle*, il faut ajouter et préciser que l'équipe du vaisseau n'est constituée que d'astronautes dont une femme qui meurt pendant le voyage**. L'atterrissage en catastrophe intervient le 25 novembre 3978 sur une planète réputée en orbite autour d'une étoile dans la constellation d'Orion, à quelques 320 années-lumière de la Terre. Blessé à la gorge au cours de la partie de chasse à l'homme organisée par les gorilles, Taylor (Charlton Heston) ne peut pas parler pendant la première partie de son séjour chez les singes, ce qui le fait passer, malgré ses talents d'imitation, pour un humain "ordinaire". Ce n'est qu'au terme de sa tentative infructueuse de fuite qu'il prononcera la désormais célèbre formule : "Get your stinking paws off me, you damned dirty ape (ne me touchez pas avec vos sales pattes, maudits singes)" qui le range définitivement parmi les curiosités et réelles menaces pour la population simiesque. Menace car les plus âgés des orangs-outangs, ceux qui ont reçus l'enseignement du fondateur et législateur de la civilisation, connaissent le potentiel et l'histoire destructeurs de l'homme, attestés par la séquence finale.
Outre d'être une parabole sur le racisme et l'égocentrisme de l'homme, le film de Schaffner joue sur les figures mythiques du cercle et de la symétrie. Le trajet visible accompli par Taylor (désert-civilisation-désert, sans parler, bien sûr de celui effectué à plus grande échelle) emprunte la forme circulaire. Comme si l'histoire, non maîtrisée, était un éternel retour, thématique chère aux philosophes antiques et à ceux du XIXe siècle. Symétrie car, outre d'inverser les rôles dominants-dominés, ce qui constitue l'originalité patente du récit, les trois astronautes connaissent un sort qui les renvoie à leur contraire*** : Dodge, le pur scientifique, trouve la mort sans qu'elle puisse servir ses recherches, Landon, le héros qui cherche l'immortalité, l'esprit le plus brillant de sa promotion, finit lobotomisé et Taylor, l'idéaliste amer un peu mystique qui a fuit la Terre pour trouver un monde meilleur, est condamné à parcourir un univers post-apocalyptique sans que l'on soit certain qu'il puisse y jouer le rôle de découvreur ou de pionnier qu'il semble affectionner.
La fin du film (que l'on doit à la version du scénario de Rod Serling), qui n'avait pas les faveurs de l'auteur du roman, mais qui passionna la production puis plusieurs générations de spectateurs, est un de ses atouts essentiels, comme le choc occasionné par l'image soudaine et brutale de ce singe-cavalier qui crée la stupéfaction chez Taylor, comme le ferait une vision cauchemardesque qui sortirait brusquement du mouvement et du flou. Le reste du film est globalement moins inquiétant que ne le sera le remake de Burton qui, lui-même, n'atteint pas l'ambition qu'il s'était ou qu'il aurait dû se fixer. C'est, paradoxalement, la cinématographie, sans effets spéciaux, et surtout la bande originale qui pallient cette relative faiblesse en terme d'ambiance. La photographie de Leon Shamroy, un vieux routier qui avait collaboré avec Lang, Kazan ou Henry King, est belle, abusant du flare qui commençait à être en vogue à l'époque (rappelez-vous la série Kung Fu) et jouant avec des angles acrobatiques de prises de vues.
Le score du génial Jerry Goldsmith, deuxième (après The Stripper) des sept collaborations du compositeur avec le réalisateur, vaut, à lui seule, le déplacement. Il a donné, avec ses étranges arrangements d'inspiration sérielle et percussifs, la vraie substance à la forte personnalité du film. Charlton Heston a rendu, en grande partie, le projet de Arthur P. Jacobs possible, imposant son réalisateur de War Lord, Schaffner(dans lequel jouait déjà Maurice Evans, ici remplaçant Edward G. Robinson sous le masque du Dr. Zaius). L'acteur principal trouve un rôle qui ne se démarque pas vraiment de ce que l'on connaît de sa filmographie. A noter, pour conclure, l'exploit que constituait pour l'époque la réalisation des costumes et maquillages dont une telle qualité n'avait pas été encore atteinte par l'industrie cinématographique.
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*le personnage principal du livre est un journaliste. La civilisation imaginée par Boulle est technologiquement très avancée ; pour des raisons de coûts, Schaffner a choisit une cité primitive.
**choix scénaristique plutôt regrettable qui évite, notamment, à Taylor, le héros du film, un choix (cornélien ?) entre l'égale ou l'inférieure.
***cf dialogue de début du film entre Taylor et Landon

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