vendredi 13 février 2004

Good Morning, Babylon (good morning babilonia)


"Lequel saluera l'autre en premier ?"

Après leur Kaos constitué de quatre histoires qui se déroulent dans la Sicile du XIXe siècle, les frères Taviani décident de consacrer leur nouveau film au cinéma. Pendant sa phase de préparation, ils sont approchés par le producteur Edward R. Pressman qui va influencer le projet initial et devient un regard sur l'Hollywood des années 1910. Même si Good Morning, Babylon, présenté hors compétition à Cannes en 1987 et premier film en anglais des metteurs en scène, n'atteint pas le niveau des œuvres précédentes, il est un des rares films traitant du cinéma qui soit réellement attachant.
La famille Bonnano construit ou restaure des cathédrales depuis plusieurs générations en Italie. Au début du XXe siècle, la dernière d'entre elles, le père (le Babbo - Omero Antonutti) et ses sept garçons, doit arrêter son activité pour des raisons économiques. Les deux plus jeunes, Nicola (Vincent Spano) et Andrea (Joaquim de Almeida), n'ayant pu convaincre leurs frères avec un plan de continuation, décident de partir aux Etats-Unis pour y faire fortune et revenir relancer l'entreprise familiale. Après la déception d'engagements indignes pour les artistes qu'ils sont, ils participent à la construction du pavillon italien, la "Tour aux diamants", pour l'Exposition universelle de San Francisco de 1915. Le bâtiment séduit le réalisateur D.W. Griffith qui souhaite en recruter les contremaitres. D'autant qu'il a été très impressionné par le spectacle de Cabiria et qu'il veut rivaliser avec Giovanni Pastrone en donnant à son futur film, Intolerance, une dimension spectaculaire qu'il n'envisageait pas lui donner au départ. Nicola et Andrea se font passer pour les hommes recherchés et partent pour le Hollywood naissant. Malgré les déconvenues initiales, ils y rencontreront la gloire, l'amour et pourront faire venir leur père pour leur mariage. Mais, en Europe, la guerre a éclaté.
Good Morning, Babylon est une fable qui doit son titre à la lumière matinale et au décor d'une partie du film de Griffith. Le tournage d'Intolerance en constitue, en effet, le cadre général de la partie centrale et la lumière y joue un rôle important. Deux thèmes majeurs sont développés : la naissance du cinéma et sa dimension artistique et les rapports filiaux et fraternels. On voit, en effet, par touches successives, le cinéma évoluer d'un pur divertissement (tournage de la séquence de slapstick) à une représentation susceptible de rivaliser avec le théâtre et de véhiculer un message, d'un rôle purement documentaire à celui, capital, de témoignage (existence de "l'éléphant", scène finale) mais aussi d'un artisanat à une industrie. Le statut de "Septième art" n'a pu être revendiqué que parce que certains auteurs ont voulu donner à leur travail une rigueur et une ambition assez bien symbolisées par celles affichées par le créateur Griffith. De ce point de vue, la confrontation entre le "bâtisseur" de cathédrale et le cinéaste est un des moments cruciaux du film. Par ailleurs, le jeu de miroir du cinéma vis-à-vis de l'existence et donc le début d'une influence morale qu'il peut exercer sur les hommes, est adroitement développé (en particulier avec la scène de tournage shakespearienne et la simultanéité de la sortie d'Intolerance et du début de la Première Guerre mondiale). Le second thème, sous-jacent, est empreint d'une coloration lyrique et un peu magique. Ces "identité" (les origines avec la fameuses question, notamment pour des émigrés : "Qui sont vos pères ?") et égalité revendiquées puis contestées par les deux frères scellent, dans une atmosphère souvent de comédie, le côté dramatique du film. Cette fusion entre Nicola et Andrea, à laquelle on doit ajouter cet étrange lien, non rompu malgré la distance, avec le père, susceptible de permettre de réussir des choses aussi surnaturelles que de déplacer un verre par la seule volonté, est un plaidoyer pour la fraternité venant d'avocats qui, sans réaliser une autobiographie, connaissent leur sujet.
L'interprétation repose, pour l'essentiel, sur le duo Spano-de Almeida. Aucun des deux n'arrive à être totalement convaincant. L'américain d'origine italienne ne dépasse pas la caricature de la latinité excessive et l'acteur portugais, pour son quatrième film, porte encore maladroitement la charge tragique du personnage d'Andrea. Il faut se tourner vers les femmes, et en particulier Greta Scacchi pour apprécier un jeu délicat et sensible ou vers Omero Antonutti, un comédien tavianien, pour une prestation authentiquement mélodramatique. Nous sommes ravis de retrouver l'excellent Charles Dance, très crédible dans le rôle de Griffith, dans autre chose que le piètre The Golden Child qu'il venait de tourner. Cet acteur illumine l'écran. Un mot sur la partition de Nicola Piovani : le thème du film est sincèrement trop prédominant et nuit au relief sonore du film. 

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