mardi 27 janvier 2004

T-Men (la brigade du suicide)


"La nature des affaires, c'est les affaires, M. Harrigan, strictement."

Avant de s'illustrer dans le western, Anthony Mann a réalisé, seul ou en co-réalisation, une série de thrillers dont certains peuvent, sans difficulté, porter l'étiquette "film noir". Si Strange Impersonation est un premier essai, c'est surtout avec Desperate en 1947 qu'il dirige son premier film du genre avec cette sombre histoire de couple traqué par des gangsters, avec la "complicité" de la police. La même année sortent Railroaded! et T-Men, suivis par d'autres intéressants titres jusquà 1950 dont le remarquable He Walked by Night de 1948. T-Men partage avec ce dernier, ainsi qu'avec The House on 92nd Street (1945) et 13 Rue Madeleine (1946) d'Henry Hathaway, autre spécialiste du genre des années 1940, ce style documentaire très caractéristique.
Inspiré d'une histoire de Virginia Kellogg, auteur qui est également à l'origine de l'un des "monuments" du film noir, White Heat de Raoul Walsh, sorti deux ans plus tard, T-Men doit nous permettre de mieux comprendre le rôle et les dangers des missions des agent du Département du Trésor, cette administration qui est a l'origine de "l'arrestation de 64% des détenus des prisons fédérales." Pour cela, nous sommes plongés au cœur d'une affaire particulièrement délicate, la "Shangai Paper Case", celle d'un groupe de truands californiens qui alimentent le pays en faux billets.
Lorsque les méthodes classiques ne révèlent inefficaces, il faut passer alors à une phase plus sophistiquée qui nécessite une infiltration et des prises de risque plus importantes. Deux agents fédéraux changent d'identité, se bâtissent une totale nouvelle vie et débutent leur enquête d'un style particulier à Detroit pour assurer leur "crédibilité" avant leur retour à Los Angeles. Dennis O'Brien alias Harrigan se fait passer pour un faussaire, propriétaire de fausses plaques particulièrement bien imitées, à la recherche d'un papier de niveau équivalent. La progression de son enquête sera, de la recherche du Schemer à l'arrestation du patron et des membres du gang, longue et difficile.
Après une brève introduction dans le bureau de l'ex-coordinateur des services du Trésor, Anthony Mann fait démarrer son film sur les chapeaux de roues avec l'exécution d'un informateur particulièrement réussie sur le plan visuel. On pense être passé du documentaire à la fiction. Mais la présence quasi permanente du narrateur et le soucis du détail de l'investigation donne un caractère documentaire destiné à renforcer la véracité des faits relatés. Et cela n'a rien de gênant pour l'impact du film, bien au contraire. La série The Untouchables reprendra ce principe, plus de dix ans plus tard, avec les mêmes effets. Si le côté officiel peut déranger, le propos n'est pas moralisateur. Ce qui semble intéresser le réalisateur est plutôt l'efficacité d'une organisation solidaire contre celle qui ne réunit que des intérêts individuels, un de ses thèmes favoris.
Le réalisateur alterne donc entre réalisme factuel et dramatisation grâce notamment à la mise en images de John Alton avec lequel Mann signera les six films de sa série. La violence et la tension sont omniprésentes, quelles soit sous-jacentes ou exprimées. Deux scènes, en particulier, appartiennent à l'anthologie du film noir : la fin de l'interrogatoire d'O'Brien par les hommes de main du gang ponctuée par un claquement brutal sur ses oreilles et le meurtre du Schemer dans un bain turc. Autre grand moment et innovation narrative : la réaction de Miller, dans la dernière partie du film, dont l'intervention peut condamner ou sauver O'Brien.
Anthony Mann donne la vedette à des acteurs de second plan ou de série B et l'interprétation n'en souffre pas. Dennis O'Keefe (qui tenait, en 1943, un second rôle dans Hangmen Also Die de Fritz Lang) et le britannique Wallace Ford (vu en particulier chez Hitchcock et dans le rôle du clown Phroso de Freaks), qui tourneront à nouveau avec le metteur en scène, sont, en effet, très bons et revêtent les costumes du film noir sans retouches disgracieuses. On peut, en revanche, s'interroger sur la suppression de certaines scènes avec Mary Meade si on se réfère à sa position dans le casting et à certaines illustrations qui accompagnent le film comparées à sa faible présence à l'écran. 

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