jeudi 8 janvier 2004

Master and commander: The Far Side of the World (master and commander, de l'autre côté du monde)


"There's where you are wrong! Do you not know that in the service, one must always choose the lesser of two weevils?" (intraduisible, le sous-titre français est approximatif)

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L'Océanie occupe, depuis quelques années, une place significative dans le cinéma. Si l'australien George Miller a été un des pionniers, ce sont aujourd'hui les néo-zélandais Jane Campion et Peter Jackson et les australiens Phillip Noyce, Baz Luhrmann et Peter Weir qui ont pris la relève. Celui-ci nous propose, cinq ans après sa comédie fantastique The Truman Show, avec Master and Commander: The Far Side of the World, une splendide épopée maritime comme il n'en existait pas au cinéma avant elle. On trouve dans ce film, qui tranche avec la plupart des productions actuelles qui sont, avant tout, de savants (?) produits marketing, tout ce que l'on apprécie au cinéma : aventure, action, psychologie des personnages et émotion. Le tout sur une trame historique authentique.
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Inspiré par la saga en vingt volumes de Richard Patrick Russ, alias Patrick O'Brian, un auteur irlandais installé à Collioure et décédé en 2000, Master and Commander prend quelques libertés avec ses ouvrages de référence. Si l'époque reste le début du XIXe siècle et le contexte les guerres napoléoniennes, Peter Weir et son coscénariste John Collee fusionnent les récits de deux des romans et allègent leurs intrigues parfois touffues. Les combats maritimes qui mettent aux prises britanniques d'un côté et français et espagnols de l'autre y sont les plus nombreux. C'est la raison pour laquelle le réalisateur choisit de remplacer, par exemple, le "Norfolk" américain du roman par un "Acheron" français. Probablement aussi parce que son film est financé par des capitaux américains et que les producteurs n'ont pas accepté de voir leur pays jouer le rôle de l'agresseur dans ce récit. La trame scénaristique est d'une simplicité enfantine (ou biblique, au choix, les deux adjectifs étant essentiels dans le film). Le capitaine Jack Aubrey du "HMS Surprise" reçoit l'ordre de l'amirauté d'intercepter le navire français chargé de porter le conflit européen dans le Pacifique. Attaqué par surprise (un comble !), à deux reprises, par celui-ci, le navire anglais va donc poursuivre son redoutable opposant du Brésil jusqu'aux Iles Galapagos en faisant le tour du continent sud-américain, voyage qui passe par le non moins redoutable Cap Horn.
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Le spectateur assiste donc à un combat singulier (à tous les sens du terme), archétype narratif de la littérature et du cinéma. Dans cet objectif de simplicité, destiné à faire de Master and Commander une œuvre épurée et efficace, le docteur Stephen Maturin perd sa casquette d'espion de sa Gracieuse Majesté. Mais c'est pour mieux apporter l'autre opposition, philosophique celle-là mais néanmoins amicale, à Jack Aubrey, et qui constitue l'essentiel du film. Ce dernier est militaire, un être concret qui gère au mieux la contingence. Maturin est un scientifique, pour lequel un choix implique des conséquences qui dépassent la triviale urgence. Mais il ne s'agit pas de conversation de salon qui ne se résolvent que dans celui de musique où nos deux hommes "accordent leurs violons". Cette dialectique connaît des applications pratiques : sauver des hommes et le navire, remplir son devoir, en un mot : diriger. Car, avec un soucis du détail historique et technique (qui va jusqu'à choisir un casting composé majoritairement de britanniques) et un traitement réaliste du récit, Weir nous relate la vie d'une communauté et la solitude du commandement.
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Pourquoi des hommes qui n'ont pas choisi de vivre ensemble, qui plus est dans un environnement périlleux, qui ne rêvent que de rentrer chez eux, pourquoi, donc, réussissent-ils à former une communauté soudée à défaut d'être homogène ? Comment naissent, parfois dans l'irrationnel, les craintes collectives (remarquable, troublant et dramatique épisode de l'aspirant Hollom) ? Comment commander, c'est à dire, forcément dans la solitude mais pas dans l'isolement (ce qui était le cas du capitaine William Bligh dans le Mutiny on the Bounty de Frank Lloyd), prendre les bonnes décisions, même lorsqu'elles ont des implications graves (fortune de mer dans le passage du Cap Horn) ? De manière très pertinente, avec l'escale forcée pour sauver le docteur Stephen Maturin d'une vilaine blessure et lui permettre, accessoirement, de s'adonner à ses travaux de naturaliste, le personnage de Lucky Jack, omniprésent sur le "Surprise", cède (toute) la place à son ami. Comme pour mieux traduire son inaptitude à la vie terrestre. Chaque partie, chaque séquence pourrait faire l'objet d'une analyse pour dévoiler les "trésors" cachés de ce magnifique film.
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Que dire d'autre, à propos de Russell Crowe, qu'il est prodigieux ? Qu'il nous a manqué depuis A Beautiful Mind mais que, grâce à son interprétation dans Master and Commander, nous ne lui en voulons pas trop. Il a trouvé, depuis plusieurs rôles, un équilibre parfait d'intensité suggestive et de sobriété. Il "est" le charismatique (au sens étymologique du terme) capitaine Jack Aubrey, celui qui crée l'admiration chez ses hommes mais sans glamour ni artifice. Il retrouve son camarade du film de Ron Howard, Paul Bettany, qui développe des qualités proches de celles de son aîné, plus convaincantes que dans son rôle de Tom Edison de Dogville, dans lequel il avait, il est vrai, une place moins importante. Le reste du casting est excellent, en particulier les plus jeunes, à l'image du débutant et pourtant impressionnant Max Pirkis.
Si vous ne l'avez pas encore compris, et si vous cherchez autre chose que du cinéma prémâché, précipitez-vous aux prochaines séances de Master and Commander et embarquez à bord du "Surprise". A la prochaine escale, venez nous donner vos impressions de voyage. Car ce film en est un authentique.

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