mardi 30 décembre 2003

Lost in Translation


"- Charlotte : Je ne sais simplement pas ce que je suis censée être.
- Bob : Vous le saurez un jour. Plus vous savez ce que vous êtes, et ce que vous voulez et moins vous permettez aux choses de vous déranger."

Formidable famille Coppola ! On se serait aisément satisfait du patriarche Francis Ford, déjà précédé par Carmine, le compositeur, entre autres, du Napoléon d'Abel Gance et de l'Apocalypse Now de son rejeton (mais non, pas de la Walkyrie !). Il faut aussi compter avec son fils Roman et, surtout, sa fille cadette Sofia. Après un court-métrage et un premier film réussi, The Virgin Suicides, présenté à Cannes il a déjà plus de quatre ans, elle récidive avec cette étonnante comédie douce-amère, Lost In Translation (dont elle a écrit le scénario) déjà primée un peu partout et retenue cinq fois dans la sélection des Golden Globes. Je ne doute pas que le film puisse en obtenir au moins un, et concourir, aux premières loges, pour les Academy Awards.
Drôle, ironique, pinçant et intelligent, dans cet ordre ou dans un autre, voici les qualificatifs qui viennent à l'esprit à la projection de ce film. Surtout intelligent, mais je n'ai pas dit intellectuel même s'il y a une réelle recherche psychologique et esthétique qui perce derrière cette histoire assez simple. Celle de cet acteur sur le retour, Bob Harris (Bill Murray), obligé de tourner des commercials pour une marque de Scotch au Japon, un pays qu'il ne connaît pas et dans lequel il se sent fragilisé. Il y rencontre Charlotte (Scarlett Johansson) une jeune diplômée de Yale accompagnant son mari photographe et totalement désoeuvrée. Ils vont passer ensemble l'essentiel de leur temps, très libre, au cours d'une petite semaine de villégiature au bout du monde. Que vont-ils s'apporter l'un à l'autre ? Qu'est-ce qu'une relation comme celle-là, incongrue et éphémère par principe, va-t-elle bien réussir à changer en eux ?
La réponse devant les écrans ! Ce qui frappe dans ce Lost In Translation finement nommé (translation signifiant à la fois traduction et déplacement, deux difficultés auxquelles sont confrontés nos protagonistes), c'est, tout d'abord, le choc des cultures. Dans un monde que l'on dit globalisé, nous restons, d'un continent à l'autre, d'un pays à l'autre, voire à l'intérieur d'une même nation, étrangers les uns aux autres, profondément différents. Au Japon, ce contraste est manifeste entre une tradition encore très vivace et un modernisme (à défaut de modernité) parfois un peu loufoque. Ensuite, c'est la vulnérabilité migratoire de nos deux prototypes états-uniens, pourtant habituellement si sûrs d'eux en apparence et dans le discours... quand ils sont chez eux. Enfin c'est le choc des générations qui pousse inévitablement à réfléchir sur sa vie et au sens qu'on lui a (ou que l'on va lui) donné(r). Une rencontre dans laquelle chacun est parfaitement ignorant de sa propre situation (lost) et complètement lucide sur celle de l'autre (comme, par exemple, lorsque Charlotte diagnostique un trouble de la cinquantaine chez Bob et lui demande s'il a déjà acheté une Porsche pour s'en assurer !). Il y a aussi cet échange intérieur-extérieur (le film est principalement tourné dans un hôtel, mais nous propose aussi des vues de Tokyo, la ville sans sommeil) qui symbolise le passage de l'agitation à la méditation et inversement, où l'on essaie de nier son environnement pour trouver, à la fois, le calme et le tumulte intérieur. Le mieux étant de le faire à deux !
A propos de ville qui ne dort jamais, on pense inévitablement à Las Vegas et au One From The Heart de Coppola père, si boudé par la critique à sa sortie mais que l'on commence à voir différemment. Peut-être que le film de Sofia y contribuera. Car il existe une filiation, au moins spirituelle, entre ces deux oeuvres assez ou très personnelles. Et pas seulement par la thématique et l'histoire. Tourné en moins d'un mois, en 35mm (malgré le conseil de papa d'utiliser la HDV) parce que l'argent, c'est "plus romantique", le film ne joue pas sur la débauche de moyens. C'est plutôt le pari inverse qui a été fait, et c'est un bon choix (et une divergence fondamentale par rapport au prédécesseur paternel sus-mentionné). La jeune Scarlett Johansson, vue dans Ghost World et The Man Who Wasn't There est craquante à souhait avec son petit air qui rappelle un peu ses aînées Patricia Arquette ou Nastassja Kinski(en moins gracieuse toutefois) et Bill Murray (que l'on ne présente plus) alterne sobriété et exubérance (son interprétation très particulière du "More Than This" de Roxy Music dans un karaoke vaut, à elle seule, le déplacement) dans un rôle qui a été écrit pour lui (la réalisatrice affirmant que s'il l'avait refusé, le film ne se serait, tout simplement, pas fait). Une excellente et lumineuse façon de commencer l'année 2004. 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire