dimanche 7 décembre 2003

Le Roi et l'oiseau


"Non mais, je vous le demande : qui est-ce qui m'a fichu un oiseau pareil ?"

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Paul Grimault est, avec André Rigal et Jean Image, l'un des pères de l'animation française moderne. Depuis Emile Reynaud et son Praxinoscope en 1892, le dessin animé s'est tourné vers la fiction tout en améliorant la technique de création (cellulos). De l'autre côté de l'Atlantique, Walt Disney, Tex Avery et Ralph Bakshi développeront leur univers spécifique. En 1946, Grimault, associé à Jacques Prévert, a l'idée d'adapter un conte d'Andersen, La Bergère et le ramoneur. Alors qu'il n'est pas achevé, le film est présenté en 1953 et vendu en l'état par les responsables de la production. Vingt-quatre ans plus tard, le créateur reprend son film, le transforme et le finalise pour donner naissance au Roi et l'oiseau sorti sur les écrans le 19 mars 1980. Jacques Prévert, décédé en 1977, n'a pu voir le film terminé mais il lui est dédié.
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Le roi Charles V + III = VIII + VIII = XVI de Takicardie est un despote peu éclairé (et en plus, il louche !). Pour ne pas mourir d'ennui, il s'adonne à la chasse, avec peu de succès, et pose pour les artistes chargés de magnifier son règne. Du haut du 296e étage de son château qui abrite ses appartements secrets, il soupire pour la charmante bergère d'un portrait qui a donné son coeur à un petit ramoneur de rien du tout de la toile qui la jouxte. Sortant de leur cadre, ces deux là s'échappent, aidé par l'oiseau moqueur, et se réfugie dans la ville-basse d'où l'on ne voit pas le jour. Ils sont poursuivis par la police du souverain et par un redoutable robot. Capturés, le ramoneur et l'oiseau sont d'abord condamné aux travaux "volontairement" forcés puis à être dévorés par les fauves pendant que la bergère est contrainte d'épouser le roi. Mais l'oiseau va soulever une révolte qui mettra fin à la tyrannie imbécile de ce Charles là.
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Le Roi et l'oiseau est un magnifique conte, une fantaisie (à tous les sens du terme) poétique et élégante. Il y a du Marcel Carné tant dans l'esprit que dans la narration. Il partage, d'ailleurs, avec son ami cinéaste, les deux complices que sont Jacques Prévert et Joseph Kosma. Pour aller plus loin dans la comparaison, on pourrait presque dire que la bergère est une Garance des Enfants du paradis qui n'aurait pas succombé au roi (Lacenaire) et serait resté fidèle au ramoneur (Baptiste) avec l'aide de l'oiseau (Lemaître). Le rêve et la réalité, comme dans le chef-d'oeuvre de Carné, se succèdent sans que l'on puisse dire où est la vérité. Le roi du portrait n'a-t-il pas éliminé son original dès le début de l'histoire ? Ce jeu de la vérité et du mensonge, de l'être et du paraître donne une dimension au film qui intéressera le public adulte du film. De même que la critique du culte de la personnalité et du totalitarisme qui évoque des heures sombres de l'Histoire (un sinistre et de triste mémoire "le travail, c'est la liberté" est prononcé par le roi au moment de l'incarcération de l'oiseau et du ramoneur), celle du dogmatisme ("c'est écrit dans les livres") ou du machinisme qui fait penser au Chaplin des Temps modernes ou, plus encore, au Tati de Mon oncle.
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La différence entre les deux époques de création du film ne se voit quasiment pas, tant sur le plan du récit que sur celui de la réalisation. L'animation est d'une grande fluidité et la beauté des décors est remarquable. Si une critique objective peut être formulée, elle concerne la faible qualité des illustrations de fauves. Pour le reste, Le Roi et l'oiseau est une oeuvre splendide et elle a conservé une modernité frappante compte tenu de son âge initial (supérieur à 50 ans). Signalons que c'est Philippe Leclerc, le réalisateur des Enfants de la pluie qui a animé, avec talent et sans ordinateur, tous les plans raccords du robot, preuve de sa maîtrise de l'animation technique. La musique de Wojciech Kilar et les chansons de Kosma alternent entre romantisme et bouffonnerie dans une harmonie parfaite avec l'esprit du film.

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