vendredi 7 novembre 2003

Tengoku to jigoku (entre le ciel et l'enfer)


"Ma haine a été ma raison de vivre."

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Sélectionné à la Mostra de Venise 1963, nommé aux Golden Globes l'année suivante et très apprécié par Martin Scorsese au point d'envisager d'en faire un remake, Tengoku to jigoku, davantage polar "thrillerisant" qu'authentique film-noir, a été traduit en français par "Entre le ciel et l'enfer" ou "Le Paradis et l'enfer" (cette traduction étant la plus proche du titre original) et en anglais "High and Low". Etrangement, malgré les différences, elle "traduisent" toutes bien l'esprit de ce film.
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Le scénario, inspiré du roman d'Evan Hunter* alias Ed McBain, "King's Ransom", situe l'action du film à Yokohama, dans le milieu des affaires japonais. Le directeur technique du fabricant de chaussures Nationale, Kingo Gondo, souhaite contrer une offensive d'actionnaires pour contrôler l'entreprise en acquérant, pour 10M de yens, une participation qui lui permettrait d'être proche de la majorité. Parallèlement, le fils de son chauffeur est enlevé, par méprise, à la place de son propre enfant. Une rançon de 30M de yens est réclamée pour sa libération. Le paiement de cette somme signifie pour Gondo la ruine assurée et la saisie de ses biens. Après hésitation, il verse la somme au ravisseur. Commence alors une longue enquête qui se conclura par la traque et l'arrestation du criminel.
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Le film est, comme l'évoque son titre, parfaitement dichotomique. La première partie juxtapose, avec intelligence, les enjeux de pouvoir capitalistiques et le rapt, dans les deux cas, une forme d'enlèvement, l'une autorisée et l'autre réprimée. Long huis clos un peu théâtral dans lequel Gondo révèle sa véritable personnalité (humanité) : le riche bourgeois affairiste, refusant d'accepter une "transaction" dans laquelle le prix est trop élevé pour la contrepartie, mute en héros généreux et sensible. La seconde partie décrit minutieusement les méthodes d'investigation policière destinées à retrouver le rançonneur puis à l'arrêter. Ce qui est très intéressant dans cette structure si marquée, c'est l'opposition ainsi créée entre la solitude de l'homme d'affaires, la rivalité des ambitions poursuivies et le travail d'équipe des policiers, concentré sur un objectif unique.
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Autre élément déterminant, le fait que ceux-ci épousent la cause de la victime et se donnent la liberté de planifier une stratégie en vue d'une "juste" sentence pour le coupable. Enfin, pour revenir aux titres du film, la description du "rachat"** initial est contrastée, contrebalancée par celle de cette descente en enfer du ravisseur (remarquable scène au milieu des junkies), mises en relief par la confrontation finale un peu énigmatique entre les deux protagonistes.
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La mise en scène et les ambiances participent à ce jeu de damier. Dans la première partie, la caméra est fixe, les plans longs et les personnages se meuvent dans le champs. La tonalité est claire, lumineuse, dépouillée. Dans la seconde partie, les plans sont brefs, la caméra est mobile et accompagne les acteurs. Les décors sont "chargés", hétéroclites. Les hautes et les basses lumières alternent, progressivement au profit de ces dernières.
La troisième participation aux deux têtes d'affiche Toshirô Mifune-Tatsuya Nakadai (après Yojimbo et Tsubaki Sanjûrô) respecte également la composition particulière de l'œuvre, Mifune est omniprésent au début du film puis quasiment absent, Nakadai, en chef de police, mène, naturellement, les opérations dans la seconde partie. Tous les deux sont énergiquement efficaces dans leur interprétation.
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*auteur du livre qui a inspiré Blackboard Jungle de Richard Brooks en 1955 et scénariste de The Birds d'Alfred Hitchcock la même année que Tengoku to jigoku.
**le site de la résidence de Gondo, sur une petite colline, passe, par ce choix, de l'arrogance à l'ascension spirituelle. A l'inverse, la haine gratuite et l'envie conduisent à une destination diamétralement opposée, d'une maison largement ouverte au confinement d'une cellule d'isolement.

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