mardi 7 octobre 2003

The Raven (le corbeau)


"Ardemment je souhaitais le jour - vainement j'avais cherché
d'emprunter à mes livres un sursis au chagrin - au chagrin de la
Lénore perdue - de la rare et rayonnante jeune fille que les anges
nomment Lénore: - de nom pour elle ici, non, jamais plus."
(in "The Raven" d'Edgar Allan Poe, traduit pas Mallarmé)
Ardemment je désirais le matin ; en vain
m'étais-je efforcé de tirer de mes livres un sursis à ma tristesse,
ma tristesse pour ma Lénore perdue, pour la précieuse et
rayonnante fille que les anges nomment Lénore, - et qu'ici on
ne nommera jamais plus.
(idem, traduit par Baudelaire)

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Une critique de The Raven est-elle la plus adaptée pour célébrer le 154e anniversaire de la mort d'Edgar Allan Poe ? Pourquoi pas ! Peut-être le film aurait-il fait fugitivement sourire le triste et tourmenté visage de l'auteur. Quoiqu'il en soit, cette antépénultième adaptation d'une de ses œuvres par Roger Corman est probablement l'une des plus libres sur les sept opus réalisés*. Pour ne pas dire, un prétexte, car nous avons affaire à une production qui s'apparente davantage à Little Shop of Horrors, voire Frankenstein Junior qu'à House of Usher.
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Il ne reste, en effet, presque rien du poème originel, sombre et obsessionnel, si ce n'est les personnages de Lénore et du corbeau. Une gageure d'adapter un poème de 108 vers en prose au cinéma ! Lew Landers s'y était essayé, en 1935, dans une toute autre démarche (mais déjà avec Boris Karloff). D'autres ont projeté de le faire mais ont abandonné**. Corman nous propose donc une comédie dans laquelle des forces magiques vont s'opposer. Si le scénario est plutôt léger, en revanche la cocasserie et les personnages peuvent séduire. Après nous avoir faire croire, dans l'introduction à l'atmosphère inquiétante dans laquelle Vincent Price déclame le début du poème, que son film serait fidèle au texte, on comprend assez vite que l'intention est toute autre.
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Le Docteur Erasmus Craven (le nom n'a pas été cherché bien loin !), un fieffé maladroit qui boit du lait chaud, reçoit la visite du magicien Bedlo métamorphosé en corbeau par le redoutable sorcier Scarabus (masculin de Carabosse ?). Après avoir rompu le charme, ils décident d'aller de concert à son château, l'un pour se venger, l'autre parce que le premier prétend y avoir vu son épouse adorée et morte depuis deux ans. Si l'histoire, on l'a dit, est assez peu inventive, Corman réussit tout de même à retenir notre attention. Pas par ses trucs de cinéastes pour réaliser des tours de magie qui ont, aujourd'hui, le charme suranné des années 1960, mais par l'humour des dialogues et l'interprétation de ses personnages. A noter, au passage, que The Raven partage une partie de ses décors avec House of Usher et du "Morella" des Tales of Terror***.
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L'essentiel Vincent Price est aussi à l'aise dans l'effroi que dans le rire, ce que nous avions entrevu dans l'épisode "Le chat" de Tales of Terror. Comme dans ce dernier, nous retrouvons, à ses côtés, Peter Lorre en ivrogne caractériel. La nouveauté vient de Boris Karloff, autre maître du genre horrifique, très sobre ici, presque fréquentable (!). La britannique Hazel Court, elle aussi spécialisée dans le genre (The Curse of Frankenstein par ex.) et l'actrice de télévision Olive Sturgess ont un côté un peu décoratif, Corman ne parvenant pas à donner à leur personnage une dimension soit inquiétante, soit authentiquement drôle. N'oublions pas l'une des premières apparitions (la septième au cinéma) de Jack Nicholson que le réalisateur avait déjà choisi pour jouer un petit rôle dans The Little Shop of Horrors trois ans auparavant.
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**Ron Howard devait réaliser sa version en 2002 pour Columbia Pictures, avec Kim Basinger.
***la scène d'incendie finale reprend des prises déjà vues dans House of Usher et "Morella" de Tales of Terror.

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