vendredi 4 juillet 2003

The Man with the Golden Arm (l'homme au bras d'or)


"Toute ma vie a été : un jour..."

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Addictions et artifices : tel pourrait être, en employant une formule dostoïevskienne, le sous-titre du film de Preminger.
Le metteur en scène a déjà réalisé, onze ans auparavant, ce qui restera son chef-d'œuvre : Laura. Il sort d'un western (River of No Return) et d'une dramatique musicale (Carmen Jones). Ce qui prouve sa polyvalence (ou sa versatilité). Son matériau de départ est le roman de Nelson Algren paru en 1949 et qui a remporté le premier National Book Award l'année suivante. Il offre le rôle principal de Frankie Machine à Marlon Brando, supplanté par un Frank Sinatra déterminé à l'obtenir.
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L'Homme au bras d'or défie les règles de la censure (il n'obtiendra d'ailleurs pas le label de la Motion Picture Association of America) en décrivant, de manière réaliste, les affres de la dépendance à la drogue (l'héroïne, en l'occurence). Frankie Machine est tiraillé entre son désir sincère d'abandonner son addiction et la tentation, toujours présente d'y succomber "avec l'aide de ses amis" et parce que certaines situations révèlent la permanence de sa faiblesse. Il est aussi ballotté entre son rêve éveillé de devenir batteur dans un orchestre, ouverture vers une autre vie et son activité de "dealer" (au double-sens) de poker clandestin qui l'enferme dans son passé.
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Enfin partagé entre une amante, Molly-O, forte et bonne qui le valorise et une épouse invalide, dont il se sent responsable, Zosch, maladivement possessive, qui redoute tout changement dans la vie de son mari et l'infantilise ou le déprécie. Les dépendances sont donc multiples : la drogue, bien sûr, mais aussi l'argent, l'alcool, le jeu et, dépendance ultime et seule meurtrière, l'amour.
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Dans un univers d'une telle noirceur, on ne peut avoir recours qu'aux artifices pour s'en sortir, ceux de l'héroïne, mais aussi du mensonge et de la dissimulation. Frankie Machine est "l'homme au bras d'or" (à défaut de l'être pour ses talents de musicien) à la fois pour la valeur des doses qu'il y injecte que pour sa capacité, grâce à sa maîtrise du bluff, à prendre l'argent sur une table de jeu. Zosch est une dissimulatrice qui tente de conserver son époux par la culpabilité et le remords. Sparrow vend des chiens dont il change la couleur au cirage, un médecin-charlatan propose des remèdes chimériques...
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Tourné quasi intégralement en studio, la mise en scène de Preminger alterne, à l'image de son personnage principal, entre nervosité et lenteur. Bien qu'il ne fasse pas preuve de la virtuosité ou de l'habileté dramatique de son Anatomy of a Murder, il parvient à assurer un rythme à son récit et à agencer intelligemment les plans (utilisation de la profondeur de champs) pour lui donner une réelle intensité. Se manifeste clairement également un début d'indépendance vis-à-vis des studios, qu'il n'avait pu trouver depuis le début de sa carrière américaine. La musique jazz (une des premières fois que le genre est utilisé au cinéma) d'Elmer Bernstein, elle aussi nerveuse, participe pleinement aux ressorts du film tout comme les génériques aux formes géométriques de Saul Bass.
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L'interprétation de Frank Sinatra est une des meilleures de sa carrière avec The Manchurian Candidate. Son jeu, dans un rôle sombre et difficile, est sobre et probant. La variété des sentiments qu'il exprime est riche de nuances. Sélectionné pour les Oscars en 1956, il s'est vu préférer Ernest Borgnine dans Marty de Delbert Mann. Kim Novak, dont c'est seulement le septième film, est lumineuse. Tout son talent dramatique est déjà là et elle donne à son personnage une profondeur inouïe. Eleanor Parker, elle aussi beauté un peu froide, à mille lieues de ses rôles habituels d'aventurières, parvient à mettre délicatement en relief le déséquilibre morbide de Zosch. Les personnages secondaires sont très bons également : Arnold Stang campe un touchant Sparrow, Darren McGavin en sournois pourvoyeur de drogue et Robert Strauss en perfide organisateur de parties de poker.

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