vendredi 30 mai 2003

Les Côtelettes


"Je viens pour vous faire chier."

... Et il y arrive fort bien ! Commençons par les amabilités : 1. j'ai une infinie admiration et un profond respect pour ces deux grands acteurs français que sont Michel Bouquet et Philippe Noiret.

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2. je n'apprécie pas tous les films de Bertrand Blier, mais la provocation des Valseuses et la sensibilité de Beau-père m'ont séduit. Et je suis de ceux qui pensent que Merci la vie ne méritait pas son échec commercial et qu'il aura, avec le temps, une seconde chance. Mais la frontière entre anticonformisme, provocation et vulgarité est étroite. Et le dernier film de Bertrand Blier penche assurément du mauvais côté : ses Côtelettes sont indigestes, au point de transformer un carnivore en végétarien. Le film a d'ailleurs été franchement mal accueilli lors de sa présentation à Cannes. A cela, le réalisateur, avec son art de la litote, répond : "S'il y a eu des réactions violentes, c'est que des gens ont beaucoup aimé et que d'autres ont détesté. Pour moi, rien n'est plus terrible qu'un encéphalogramme plat. En outre, je trouve que mon dernier film est plutôt calme et consensuel contrairement à mes précédentes œuvres. C'est surprenant !" Disons plutôt ''mortel et consensuel sans les deux dernières syllabes''.
La réaction mitigée du public (particulier) de Cannes n'a pas eu, sincèrement, d'influence sur ma vision du film. Je n'avais pas vu la pièce jouée déjà par les deux acteurs masculins en 1997 à la Porte-St-Martin et adaptée ici par son auteur. A ce sujet, l'avis du réalisateur est catégorique. Comparant sa dernière "œuvre" avec Les Valseuses il déclare : "Les deux longs métrages ont en commun ce même côté galopin. Pour moi, il n'était pas question de filmer la pièce. Je voulais concrétiser au cinéma l'imaginaire de la pièce. Ce fut un grand plaisir pour moi de travailler là-dessus".
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Mais la dimension essentiellement textuelle, dialoguée du théâtre est, avec le renforcement, le soulignement visuel qu'apporte le cinéma, dramatiquement dénaturée, défigurée pour sombrer dans le ridicule ou l'insupportable. Cette opposition convenue entre deux "vieux cons" qui n'ont rien de galopins : fausses convictions de gauche qui masquent mal le droitisme, idées reçues (l'amateur de couture est forcément homosexuel) qui ne font rire que les imbéciles et font preuve d'une maladresse (et/ou d'un mauvais goût) phénoménale. L'imaginaire ressemble à s'y méprendre à un cauchemar. Et que l'on ne vienne pas me parler de second degré... il faudrait qu'il y en ait déjà un premier ! La seconde partie qui voit nos protagonistes unir leurs (modestes) forces pour lutter contre la mort et leur propre libido n'apporte rien de plus. Aussi, n'en rajoutons pas davantage. Il n'y a rien de pire que lorsque le plaisir n'est pas partagé.
Qu'y a-t-il au dessert ?

vendredi 23 mai 2003

Une Femme de ménage


"Mais je ne fais pas le ménage avec mes cheveux"

 - film - 3104_1La persistance du thème et du rôle de la femme de chambre (ou de ménage, il faudrait d'ailleurs consacrer une étude sur les différences sémantiques et ontologiques !) dans le cinéma n'a jamais cessé de me surprendre. Nous avons, bien sûr, tous en mémoire le film de 1964 de Luis Buñuel Le Journal d'une femme de chambre. Mais, sans vouloir être exhaustif, on pourrait citer La Carrière d'une femme de chambre de Dino Risi (1976) ou encore La Femme de chambre du Titanic réalisé en 1997 par José Juan Bigas Luna. Sans oublier le rôle essentiel de Lisette incarné par Paulette Dubost dans La Règle du jeu de Jean Renoir (1939).
Le film de Claude Berri ne prétend pas marquer l'histoire du cinéma comme celui de Buñuel. Inspiré du roman éponyme de Christian Oster, l'acteur-réalisateur nous narre une histoire convenue de séduction maladroite entre un quinquagénaire et une jeune femme qui pourrait être sa fille. Ce n'est pas à proprement parlé une bluette, mais la profondeur du discours social comme celle des sentiments n'est pas abyssale, loin s'en faut. Cependant, tout en comprenant que l'on puisse s'ennuyer à la vision de ce film, ceux qui sont familiarisés avec le cinéma de Claude Berri y retrouveront ses qualités d'intimité et de pudeur qui sont singulièrement absentes de la plupart des productions récentes. Moins personnel que La Débandade, Une Femme de ménage est, peut-être grâce (à cause) de cela, plus ouvert et attachant.
 - film - 3104_2Il n'est pas étonnant, compte tenu du sujet et du choix des acteurs, mais aussi de la liberté qui leur est laissée par le réalisateur, que le film repose principalement sur l'interprétation de Jean-Pierre Bacri et Emilie Dequenne.
Le premier, volontairement absent des affiches depuis Le Goût des autres (1999) pour se consacrer à son métier de scénariste, a fait le pari d'apporter au personnage de Jacques une vérité (sensible et meurtrie) qui n'est pas uniquement celle du caractériel grognon auquel il nous a habitué. La seconde, loin de sa cavalière prestation du Pacte des loups, plus proche de Rosetta qui l'a révélé, brille par le naturel de sa composition, au point, parfois, de ne pas avoir le sentiment d'être au cinéma (qualité ou handicap ?).
Le couple ne fait penser ni à Lolita ni à Nelly & Monsieur Arnaud (néanmoins plus proche du second que du premier), dans son parcours (de Paris en Bretagne) mêlant tour à tour, dans un plat salé-sucré additionné d'humour, rencontre-opposition-séduction-intimité-séparation. Chez Claude Berri en effet, "les histoires d'amour finissent mal... en général".

mercredi 21 mai 2003

Dogville


"S'il y a bien une chose qui ne me fait pas peur, c'est de filmer de manière étrange. Je voulais réaliser un film sur les Etats-Unis, le situer dans ce pays où je n'ai jamais été. Cela n'a rien à voir avec les Etats-Unis, ce sont juste les sentiments que j'ai sur le pays. Je me sens comme un Américain. Ich bin ein American ! Je ne parle pas des Etats-Unis car je ne connais pas, c'est juste l'image que j'en ai. C'est peut-être de la faute des journalistes qui écrivent des mensonges." Lars Von Trier

S'il vous reste des images ou impressions de Dancer in the Dark, faites le ménage avant de voir le nouveau film de Lars Von Trier ! Le réalisateur renouvelle tout : thème et traitement cinématographique. Foin de discours (parfois rasoir) sur la rédemption mais élaboration d'une fable morale percutante bien que toujours un peu bavarde. Et pour remplacer le matérialisme poétique, le danois choisit l'abstraction (y compris dans l'emploi de la chanson de David Bowie : "Young Americans").
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Premier épisode d'une trilogie sur les Etats-Unis à la manière de Kafka*, Dogville est largement influencé par le théâtre de Brecht et la musique de Kurt Weil. Le réalisateur avoue d'ailleurs lui-même : "la chanson "Pirate Jenny" ("L'opéra de Quat'sous") est très forte ; son thème de vengeance m'a beaucoup plus." On est, par de nombreux aspects, plus proche du théâtre que du cinéma. On a déjà beaucoup évoqué, concernant le film, l'absence de décors. Les espaces sont délimités par des traits à la craie à l'intérieur d'un très vaste plateau environné de noir sur lequel s'est déroulé le tournage. Les acteurs se meuvent dans cet environnement "fantôme" avec naturel et lorsqu'ils miment l'ouverture d'une porte, le son réel accompagne le geste virtuel. Le spectacle, étonnamment, ne perd rien de sa force ; au contraire, l'attention se focalise alors sur l'essentiel, c'est à dire le sujet (ce qui est soumis) et non plus sur l'objet (ce qui est placé devant).
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L'élément étranger, exogène incarné par Grace (Nicole Kidman) va tour à tour être intégré à la communauté des habitants de Dogville (moyennant une subordination qui va peu à peu s'estomper) puis progressivement être rejeté, refoulé lorsque les enjeux viennent à changer, dans l'ignorance volontaire de ce qui avait pu être auparavant partagé. C'est une poignante expression de la perte des valeurs (l'action se déroule pendant la grande dépression des années 30, mais elle pourrait tout aussi bien se passer de nos jours) à laquelle nous assistons. Mais la victime sacrificielle utilisera un instrument parmi ses oppresseurs pour développer sa vengeance.
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L'interprétation du film est un de ses atouts majeurs. La grâce de Grace est réelle et on découvre une Nicole Kidman que l'on ne connaissait pas. On perçoit immédiatement qu'elle a adopté l'univers du metteur en scène et elle le conjugue avec une sensibilité nouvelle qui l'enrichit incontestablement. Paul Bettany confirme, bien que le rôle ne soit pas très avantageux, les qualités que l'on avait entrevues dans Un Homme d'exception. Coup de coeur pour les immenses comédiens que sont Lauren Bacall et Ben Gazzara dont la seule présence peut (et doit) vous inciter à aller voir ce long film (près de trois heures).
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*Franz Kafka a écrit "L'Amérique" sans s'être jamais rendu sur place.